Quebecor=menace ???

Les journalistes à l’emploi de Quebecor voient leur propre entreprise comme une menace à la diversité et à la qualité de l’information.


C’est l’une des conclusions que tire un chercheur de l’Université d’Ottawa au terme de la plus importante enquête menée à ce jour sur la perception qu’ont les journalistes syndiqués face aux grands enjeux de leur profession.

Dans son étude publiée samedi, Marc-François Bernier conclut que «la recherche a identifié et documenté un très important malaise professionnel chez les journalistes de Quebecor. À bien des égards, ils partagent les attitudes, les opinions, les attentes et les aspirations de leurs collègues des autres médias, c’est au niveau de leur capacité à les réaliser ou à agir en conséquence que le malaise apparaît.

«Ce malaise est tellement constant et intense qu’on peut interpréter les réponses des journalistes de Quebecor (Journal de Montréal, Journal de Québec et TVA) comme un appel de détresse de la part de professionnels qui sont en perte d’autonomie et entrevoient de devenir de simples pions sur l’échiquier de la concentration et de la convergence des médias, ainsi que de la commercialisation de l’information», note Marc-François Bernier, qui a lui-même été journaliste au Journal de Québec pendant de nombreuses années.

L’étude menée auprès de 1780 journalistes syndiqués du Québec (taux de réponse de 21,6 %), principalement à Radio-Canada, Gesca (La Presse, Le Soleil, Le Droit, Le Quotidien, Le Nouvelliste, La Voie de l’Est et La Tribune) et Quebecor, montre également que s’il existe une détresse professionnelle chez les journalistes de Quebecor, «on peut parler d’un certain inconfort chez leurs collègues de Gesca, et d’une relative sérénité au sein des journalistes de Radio-Canada.»

«Les journalistes de Gesca et de Radio-Canada s’inquiètent des mêmes choses que ceux de Quebecor, mais l’inquiétude est beaucoup plus marquée chez ces derniers», a précisé le chercheur dans un entretien téléphonique.

«La très grande majorité des journalistes s’inquiètent des impacts de la concentration de la propriété de la presse et de la convergence des médias sur des choses aussi essentielles que la qualité, la diversité et l’intégrité de l’information. Il y a un fort consensus pour que les gouvernements agissent et limitent la concentration de la propriété des médias au Québec», note M. Bernier.

Chez les journalistes des conglomérats privés (Gesca et Quebecor), on «est d’avis que les besoins en revenus publicitaires influencent le genre de nouvelles qu’ils diffusent», révèle l’étude.

Chez Quebecor, le malaise va plus loin. «Les journalistes (dans l’ensem­ble) constatent que l’importance accordée à l’autopromotion et à la promotion des autres médias de leur conglomérat a augmenté ces dernières années, écrit M. Bernier. Les journalistes de Quebecor sont les plus exposés à ce genre de demande de couverture autopromotionnelle qui vise à satisfaire les intérêts de l’entreprise privée. Cela leur serait arrivé «souvent», presque sept fois plus fréquemment que leurs collègues de Gesca et de Radio-Canada», statue l’étude.

«Les journalistes de Quebecor pensent majoritairement que les opinions et les intérêts des propriétaires de leur média sont reflétés régulièrement dans la couverture des nouvelles. C’est aussi au sein du conglomérat médiatique Quebecor que les intérêts et les opinions des propriétaires ont le plus d’impact sur ce que les journalistes écrivent ou révisent», note encore le chercheur.

L’étude révèle enfin que «les journalistes sont très largement d’accord pour dire qu’un journaliste syndiqué est mieux protégé qu’un pigiste contre les demandes des médias et ce point de vue est dominant même chez les répondants qui ont déjà exercé un mandat de cadre au sein d’une entreprise de presse.»


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«Ils ne s’inquiètent pas pour rien»

Selon le chercheur Marc-François Bernier, il existe des pistes de solution pour réduire l’inquiétude des journalistes québécois face à la concentration de la presse et à la convergence des médias.

«Il est déjà tard et les choses sont déjà rendues très loin, mais la réduction du malaise des journalistes québécois devra passer par une prise de conscience des dirigeants des entreprises de presse», estime-t-il.

«Les journalistes ne s’inquiètent pas pour rien, notamment en ce qui regarde l’autocensure, l’autopromotion et le fait que les entreprises de presse choisissent les sujets de nouvelles en fonction de leur propre intérêt», dit-il.

«La résolution de ce problème devra obligatoirement passer par les gouvernements. Malheureusement, rien ne laisse croire pour l’instant qu’ils ont l’intention de freiner la concentration et la convergence. S’il ne peut légiférer en matière de télévision et de radiodiffusion, le gouvernement du Québec peut agir par la Loi sur la presse. Il est clair qu’on ne peut plus revenir en arrière, mais la Loi sur la presse permettrait de limiter les dégâts si les gouvernements en ont la volonté. Il ont le choix de fermer les yeux ou d’agir, tranche Marc-François Bernier.

Troisièmement, tout le monde devra se pencher, syndicats, gouvernements et entreprises, sur la façon de réaliser la convergence de façon civilisée, sans pour autant nuire à la qualité de l’information. Le défi est grand, mais il n’est pas trop tard», croit-il.